« Vous êtes une recrue non conventionnelle. » – La visibilité trans en milieu de travail
Ce n’est pas toujours évident d’être une personne trans sur le marché du travail. On nous dit trop souvent : « vous n’êtes pas la bonne personne pour le poste » ou « vous êtes une recrue non conventionnelle ». Ce sont là des expressions codées qui signifient que l’employeur hésite à embaucher une personne trans.
Encore aujourd’hui, les personnes trans au Canada sont disproportionnellement sans emploi, sous-employées ou en train de dissimuler leur identité au travail. Les personnes trans, non binaires et bispirituelles se voient refuser des opportunités d’emploi de trois à cinq fois plus que les personnes cisgenres, et 30 % des femmes trans ont été privées d’opportunités d’emploi en raison de leur genre au cours des cinq dernières années (Women & Gender Equality, 2023). Aujourd’hui, nous sommes cinq fois plus susceptibles de vivre sous le seuil de faible revenu – aussi appelé seuil de pauvreté – que les canadien·nes cisgenres. Nombre d’entre nous faisons toujours face à ces problèmes chaque jour dans nos carrières.
Lorsque la Journée internationale de la visibilité transgenre a vu le jour en 2009, j’étais sceptique. Pourquoi la visibilité? Je trouvais que ma propre visibilité ne m’avait pas fait de cadeau dans la vie. En fait, c’était ma visibilité qui m’avait privée de perspectives d’emploi et d’avancement et qui m’avait fait vivre des violences. Le temps passant, et alors que nous franchissons le cap des 15 ans de la Journée internationale de la visibilité transgenre, je reconnais aujourd’hui l’importance de rendre visibles nos expériences en tant que personnes trans.
Dans mon cas, on m’a déjà d’abord dit que j’étais la candidate la plus qualifiée, pour ensuite me dire que je ne convenais plus après m’être présentée, ouvertement trans, à un entretien d’embauche. Certains employeurs ont déclaré sans détour : « Nous n’embauchons pas d’hommes sur ce poste. » Même lorsqu’il y avait une personne cisgenre 2SLGBTQIA+ au recrutement, on m’a dit que le seul emploi pour lequel j’étais qualifiée était l’emploi de premier échelon sur lequel les personnes sans expérience ou sans éducation sont embauchées, avant d’être embauchée à Fierté au travail Canada.
Pages de couverture des rapports Diriger avec fierté et La transition des organismes employeurs.
Je sais que mon expérience n’est pas unique et qu’elle est partagée par de nombreuses personnes trans. Dans l’enquête Trans PULSE Ontario, 28 % des personnes interrogées ont été ou pensaient avoir été renvoyées en raison de leur transidentité. 50 % des personnes interrogées ont vu leur candidature refusée ou pensaient qu’elle l’avait été en raison de leur transidentité (Bauer & Scheim, 2015). De plus, dans notre étude Diriger avec fierté : pratiques exemplaires pour l’avancement du leadership 2SLGBTQIA+, les leaders trans ont indiqué avoir rencontré des obstacles à leur avancement professionnel en raison de leur transidentité.
Les 15 années qui se sont écoulées depuis la création de la Journée internationale de la visibilité transgenre ont également été marquées par une évolution. L’identité et l’expression de genre bénéficient aujourd’hui de protections juridiques dans tout le pays, alors qu’il n’y en avait aucune à l’époque. Les personnes peuvent obtenir un marqueur de genre X partout, sauf au Nunavut, et il n’est plus nécessaire de subir une intervention chirurgicale pour changer de marqueur de genre. Les provinces et les territoires ont également mis en place des programmes de soins d’affirmation du genre dans le cadre des soins de santé. Il y a eu de nombreux progrès, même s’il y a encore des luttes à mener.
Autrement dit, depuis que je fais ce type de travail, j’ai vu l’inclusion trans avancer à grands pas. Nous avons acquis des protections juridiques, nous avons obtenu un accès supplémentaire aux soins de santé (même si ces soins de santé peuvent encore être améliorés), et les milieux de travail ont commencé à prendre le personnel trans au sérieux. En 2019, nous avons établi un partenariat avec l’Institute for Gender and the Economy pour la recherche La transition des organismes employeurs : une étude sur les politiques et les pratiques favorisant l’intégration des personnes trans en milieu de travail. Bien que nous ayons constaté que de nombreux employeurs avaient encore beaucoup de chemin à parcourir pour être réellement trans-inclusifs, nous avons également constaté que plusieurs avaient mis en place des pratiques en faveur de l’inclusion, dont des groupes de ressources pour employé·es, des avantages sociaux trans-inclusifs et une politique d’inclusion trans.
Infographie tirée du rapport La transition des organismes employeurs.
Je constate de plus en plus que les employeurs veulent prendre de bonnes décisions en matière d’inclusion trans. Il s’agit d’un virage radical par rapport à l’époque où nous n’étions pas du tout dans le champ de vision des employeurs, ou lorsque nous pouvions être renvoyé·es pour la simple raison de notre transidentité. Si vous êtes un employeur qui cherche des conseils pour favoriser l’inclusion trans, en voici trois :
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- Écoutez-nous : Les personnes trans ne sont que trop rarement entendues et écoutées. Pensez à nous écouter au travail et en dehors. Recherchez un podcast ou une série vidéo sur les personnes trans, écoutez les personnes trans de vos groupes de ressources pour employé·es et dialoguez avec nous de manière intentionnelle.
- Poursuivez votre apprentissage : Réfléchissez à des moyens de continuer à vous renseigner sur l’inclusion trans. Par exemple, envisagez de participer à SPARK 2024, de suivre notre série de webinaires ou de lire La transition des organismes employeurs.
- Changez les choses : Examinez vos politiques et pratiques et réfléchissez aux modifications possibles pour les rendre plus inclusives. Pourriez-vous envisager de parrainer un·e professionnel·le ou une personne en recherche d’emploi trans?
Je ne cesse d’être impressionnée par les connaissances, l’expertise et les compétences des personnes trans. Nous sommes là, dans toutes les professions et dans toutes les communautés. Survivre à la transphobie est un défi de taille, mais les personnes trans sont là et le resteront. Certain·es d’entre nous sont plus visibles que d’autres, et pour d’autres, la visibilité n’est pas un choix, mais ce qui nous lie, c’est la résilience. C’est la communauté qui nous entoure, en milieu de travail et ailleurs, qui nous permet de passer de la survie à l’épanouissement.
Jade Pichette (elle/la)
Directrice des programmes
Fierté au travail Canada
Ressources :
- Diriger avec fierté : pratiques exemplaires pour l’avancement du leadership 2SLGBTQIA+
- La transition des organismes employeurs : une étude sur les politiques et les pratiques favorisant l’intégration des personnes trans en milieu de travail
- SPARK 2024
- Trans Pulse Canada
- Justice Trans
- Balado Uncovering Belonging (anglais)
Ouvrages cités :
Scheim, A.I., G.R. Bauer, J. Pyne, R. Travers et R. Hammond. (2017). Health equity in the context of sexual and gender minority populations in Canada. Dans G. Bauer & R. Hammond (Eds.), The Routledge Handbook of LGBTQIA+ Administration and Policy (pp. 108-120). Routledge.
Femmes et Égalité des genres Canada. (2023). Sondage sur le Plan d’action 2ELGBTQI+ – Statistiques en bref. https://femmes-egalite-genres.canada.ca/fr/sois-toi-meme/plan-action-federal-2elgbtqi-plus/resultats-sondage/statistiques-bref.html#a4